Notre Président, vrai Résident de la République vient de nous livrer son dernier (?) plan, un état d'urgence, un État en urgence plus certainement, pour lutter contre le chômage... Comme toute loi et comme toute mesure prise en France, il y est encore question de seuil… Ainsi toute entreprise “de moins de 250 salariés disposera d'une prime immédiate de 2 000 euros par an pour toute embauche en CDI ou en CDD de plus de 6 mois de salariés payés jusqu'à 1,3 fois le SMIC.“ On peut y déceler plusieurs seuils successifs, ce qui est assez casse g… si on le compare à un enchaînement de marches inégales ou à une manière de vivre : franchir un seuil n'a jamais été chose aisée.
Ainsi 250 salariés serait le nombre idoine pour bénéficier d'une énième prime… Une question me taraude : une entreprise de 249 personnes est-elle plus proche d'une société qui en compte 251 ou 5 000 plutôt que d'un commerce qui emploie 1 ou 2 salariés ? L'autre seuil des 1,3 fois le SMIC (“1 point 3“, comme l'a dit notre Président… Ah !) est-il plus pertinent ? On aura une pensée pour ces PME dont les employés sont à 1,31 fois le SMIC et qui ne pourront donc pas bénéficier de cette “prime“…
Que dire des tranches d'imposition, de ces aides, de ces bourses, de ces allocations qui ne sont plus les mêmes selon qu'on a eu le bonheur ou le malheur de gagner quelques dizaines d'euros de plus, que penser également de ces durées, qui à quelques jours et parfois même heures de différence, vous gratifient d'avantages ou vous les suppriment tous. Que retenir de ces moyennes, de ces distances ou de ces durées qui à quelques dixièmes nous voient passer d'un “camp“à un autre ?
Tout est organisé comme si la vie ne se déroulait qu'au travers d'étapes, de frontières marquées et intangibles, alors que tout n'est que fluidité, tout se passe doucement en vérité… Ces seuils sont en fait et à tous égards le reflet d'une pensée manichéenne entre bien et mal, entre binationaux et “de souche“, entre maigres et gros, entre femmes et hommes, entre jeunes et vieux, entre “patrons“ et “salariés“, entre ménagères de + ou de - de 50 ans, etc. En ne pensant qu'en noir ou en blanc on ne laisse que peu de place au gris. Et pourtant, le gris c'est si beau, il est source de nuances (il y en a bien plus que 50…), du foncé au clair, du coloré au neutre, du presque invisible à l'ostensible. Et puis de toutes les manières, seuil c'est un peu comme deuil...
Avant toute nouvelle réforme, il est urgent en l'état (!!!), de nous “désseuiller“, et de nous nuancer...
“Enfance Un beau soir vous avez poussé la porte du jardin
Du seuil voici que vous suivez le paraphe noir des arondes
Vous sentez dans vos bras tout à coup la dimension du monde
Et votre propre force et que tout est possible soudain."
La beauté du diable, Louis Aragon